La mécanique des cœurs, 24h de Saint-Maixent-l’Ecole « Bernard Gaudin ».

     A force d’écrire des comptes rendus dans lesquels je mettais en mots mes aventures ce qui, je vous l’accorde, pouvait s’apparenter parfois à une sorte de verbiage unidirectionnel, j’avais peur de rentrer dans une routine et finir par me raconter plus que de partager. J’en finissais par questionner la démarche qui m’apparaissait avec le recul un brin égoïste voir égocentrique et « apudique ». Déshabillant mes sentiments, exposant mes émotions, révélant mes faiblesses autant que mes vices à travers un monologue qui emmenait le lecteur sur le terrain d’une pensée unique comme on pénètre dans une attraction à sensation dont on serait spectateur, un retour aux sources était nécessaire pour envoyer ces lignes vers des terres plus sauvages. Une façon pour moi de raconter les autres, en simple figurant, comme pour figer les images et animer les corps en leur donnant du cœur. Et quoi de mieux que de s’attaquer au sacro-saint 24h d’endurance.

     Pour le non initié que je suis, le principe est simple, parcourir la plus grande distance possible pendant 24h en évoluant au sein d’un parcours balisé n’excédant que très rarement 1km de long et en ayant à sa disposition et comme unique moyen de locomotion nos 207 os et 639 muscles, rien que ça. Si la beauté se cache dans la simplicité, qu’en est-il de la folie ? Car pour beaucoup d’entre nous cette démarche apparaît complètement démentielle et ironiquement pour nombre de participants également. Certains d’entre eux n’hésitent d’ailleurs pas à utiliser des métaphores animalières, comme la ballade d’un jour d’un hamster dans sa roue, d’autres plus spirituels émettent la recherche d’un salut, d’une identité qui s’acquiert au fil des heures dans la solitude de son exercice comme on concède  une seconde naissance. D’autres encore sont animés par une passion dévorante et accumulent les 24h comme on court par habitude à la différence que les distances sont tout sauf ordinaires.

     Pour être tout à fait honnête, j’avais coché cette date sur ma « to do list » de l’année, mais la vérité c’est qu’à l’approche de l’évènement, j’ai eu peur, tout simplement. Peur de prendre part à ce cycle écrasant, peur de ne pas être à la hauteur face à ce monstre silencieux, peur qu’il me place face à mes propres peurs. Cette peur de l’abandon, de la solitude dans l’effort, cette peur de côtoyer irrémédiablement ses limites, qu’elles soient physiques ou mentales, cette peur du renoncement, de ne pas être ou ne plus être capable de. Car participer à un 24h c’est accepter de laisser courir ce temps en ne se raccrochant qu’à cette distance qui devient alors le seul paramètre modulable jusqu’au point final, jusqu’à cette ultime seconde qui fait suite aux 86 399 déjà écoulées.

« On associe souvent cette épreuve à une course contre la montre, si on ne rattrape jamais le temps, on se doit de ne pas le perdre. Bien que les efforts soient multipliés et qu’on ne se soustrait pas à l’avancée du temps, la seule opération arithmétique valable reste l’addition, celle des kilomètres, avancer, toujours, chaque pas pris comme un mètre gagné, sur quoi ? Sur qui ? Peut-être tout simplement sur soi. »

     Alors je suis allé au contact de ces héros anonymes, ces forças de la route, cette famille d’irréductible « circadien » comme ils se prénomment. circa dies, « presqu’un jour », à coup sûr un jour et une nuit en ce week-end du 15 Septembre. A croire que se lancer dans une telle aventure consiste à repousser les frontières même du fonctionnement de l’organisme en se réappropriant son rythme voir en le modifiant. Si le terme circadien est avant tout utilisé dans le cadre de la chronobiologie pour définir le rythme (basé sur 24h +/- 30 min) qui régule de nombreuses fonctions biologiques et cadre, entre autre, le rythme veille/sommeil, la température corporelle, l’humeur, la production d’hormones, le rythme cardiaque, la mémoire, et j’en passe, ces coureurs s’en affranchissent et se placent en rupture avec ce qui semble être programmé. L’horloge interne en ressort déboussolée et le chef d’orchestre n’est plus au cœur de l’hypothalamus mais gagne belle et bien peu à peu les jambes de ces métronomes.

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La marque du temps, 24h durant

     Introspective, profonde, en équilibre fragile entre ce qui nous est individuellement possible de faire ou ne pas faire avec les capacités corporelles dont on dispose et aux regards de ces tentations auxquelles nous nous devons de résister, participer aux 24h c’est avant tout accepter ce saut vers cette part d’humilité qui sera, une fois le temps écoulé, le seul juge de paix. Je ne sais pourquoi on cherche à tout prix à vouloir trouver une réponse unanime à la question fastidieuse du « pourquoi courir ? » alors qu’implacablement la réponse avancée ne s’appliquera qu’à un nombre restreint d’entre nous. Dans cette démarche qui consiste à mettre un pied devant l’autre, chacun est animé d’un feu et cultive une motivation qui lui est propre. Quand certains se mettent en mouvement pour perdre du poids et accepter un corps qui ne ressemble pas à leurs attentes, d’autres recherchent la performance dans l’effort, la solitude d’une réflexion au long court, d’autres encore plus volubiles sont friands de rencontres et de partage, de découverte, embrassant cette sensation de lâcher prise, cette échappatoire au nez d’une société qui nous emmure dans des prérogatives et des obligations quotidiennes. La liberté c’est peut être ça la clé. Celle de disposer de son corps, d’en prendre le contrôle et de l’amener sur des terrains qui nous semblent jusqu’alors impénétrables, tout en laissant vagabonder son esprit et devenant, qui sait, l’espace d’un run, un philosophe en godasse. A aucun moment je n’ai ressenti chez eux une quelconque vanité cachée derrière la nécessité de faire mieux que la personne qui évolue à ses côtés. Les circadiens semblent animés d’une volonté farouche de s’accomplir par eux-mêmes et pour eux-mêmes et en ça, résulte, une part indéniable de leur grandeur. Ils ne regardent ni à côté ni derrière mais devant comme pour maintenir cette parenthèse ouverte. Mais assez divagué, pénétrons à présent dans leurs pas.

24h chrono, sans Jack Bauer mais avec Stéphane en maître des lieux :

     Avant de me lancer dans cette aventure de spectateur privilégié, je me suis permis de contacter trois participants pris totalement au hasard sur la liste des inscrits communiquée par l’organisation comme on jette trois bouteilles à la mer. Le but de ma démarche était de savoir s’il m’autorisait à les suivre de près ou de loin dans ce parcours initiatique. Ma volonté était de ne pas représenter pour eux une distraction ou un poids qui les empêcheraient d’atteindre leur objectif, en d’autre terme, ne pas m’inviter au banquet sans y être autorisé. Sur les trois missives envoyées, un participant m’informa qu’il ne pouvait prendre part à l’aventure pour cause de blessure, le second ne m’a pas répondu (mais je dois bien avouer en être le seul responsable, quand on fait ce genre de demande une semaine avant l’évènement…) et ma troisième tentative a trébuché sur un bonus, Stéphane. De suite j’ai été saisi par l’enthousiasme et la gentillesse qui transpiraient dans sa réponse. Bien sûr qu’il m’acceptait auprès de lui, mais plus que de m’accepter, je ne le savais pas encore, il allait m’introduire, m’instruire et me guider dans les méandres de ces lacets qui n’ont cessé de défiler sous nos pieds. Stéphane c’est avant tout un véritable passionné de la discipline et un intarissable compteur d’aventure qu’il distille la voix chaude et les yeux humides. Ces premières godasses, il les enfile il y a 25 ans « des vielles Adidas torsion avec la barre jaune sous une de mes chaussures qui tenait presque pas », nous sommes en 1992 il est alors footballeur amateur et s’inscrit un peu par hasard aux 15 kms de Vouillé. Un ou deux ans plus tard, c’est en spectateur qu’il assiste aux 24h de Niort et se retrouve précipité dans la marmite par un petit japonais aux chaussures déchirées, Segi Arita, légende vivante des 24h, une véritable révélation, « je regarde mon pote et lui dit un jour je ferai cette course ». S’en suit un parcours progressif ponctué par un premier 4h en 1996 (42 kms), un premier marathon à La Rochelle en 2001, puis 2, puis 3, puis 6, un maraithon, un marathon de Parthenay et Paris puis deux 24h en relais par équipe de six. L’expérience grandit et avec elle l’envie de franchir le pas, motivée par des rencontres déterminantes, d’abord au club de courir sourire Vouillé où il croise la femme de Mr. Bernard Gaudin puis à l’Angélique club de Niort avec la rencontre d’une grande championne de 24h, Marie Bertrand. Finalement le mariage sera consommé en 2007 avec son premier 24h et 134 kms 571 à la clé. Cette liaison d’ailleurs fertile, accouchera de six autres 24h avec un record personnel à 155 kms 296. Pour ces 24h 2017, Stéphane a embrassé la cause de l’association Nolan Clouet (association « ensemble avec Nolan » crée en 2011 par Stéphane Clouet suite au diagnostic d’une  leucodystrophie particulière, la maladie de Canavan chez son fils Nolan) et arbore une photo de Nolan sur son maillot. Le but de sa démarche n’est pas directement de récolter des fonds mais faire grandir à son échelle cette petite graine et sensibiliser les autres coureurs et spectateurs à ces combats qui agitent nos vies car les à-côtés de la course sont aussi part intégrante de ce grand voyage. Nombreux sont les coureurs balafrés par des drames et des difficultés personnelles qu’ils exhortent et atténuent, les godasses aux pieds comme un exutoire à ciel ouvert, une manière de montrer que ça se fera avec eux et toujours debout. Maintenant que les présentations sont faites, place à la ballade.

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Et parfois on trébuche sur un bonus…Stéphane

     Quand j’ai débarqué dans l’arène mon appareil au point, un stylo et un papier chiffonné dans la poche, Je ne savais, un, ni comment aborder l’évènement, autrement dit comment aborder Stéphane qui ne me connaissait ni d’Eve ni d’Adam, comment me placer face aux protagonistes pour leur mitrailler le visage dans une photo quelque peu osée pour notre degré de connaissance en leur balançant un peu chevaleresque « un avant, après ça vous tente ? », comme ça !!  sans préliminaires ?, et un peu plus tard, deux, ni comment m’attaquer à la rédaction de ce compte rendu que je voulais fidèle à l’atmosphère si particulière qui rayonne autour de cette piste aux étoiles. Au départ, en véritable métronome, j’ai commencé la rédaction de ce compte rendu en compteur de temps, marquant heure après heure les péripéties qui émaillaient l’avancée de ces hommes et femmes, « 11h départ, 11h05 premier tour effectué pour les deux hommes de tête, 11h10 première pause physiologique pour la régulation des sorties aqueuses du dossard … » puis je me suis ravisé devant la tournure pompeuse que laissaient entrevoir ces premières lignes, une manière à la fois d’endormir ma plume et d’éventuels lecteurs. J’ai alors opté, non sans une certaine retenue, pour un ton plus cavalier, « le numéro 101 casaque noire et blanche aborde le premier virage dans un sourire avec sur les talons Earth, Wind and Fire qui décide dans un mouvement croupe de prendre la corde avant de boucler ce premier kilomètre dans un trot maitrisé… » le problème c’est que pour la plupart ils passeront la barre des 100 kms, ça risque vite de tourner en rond à moins de le faire façon Léon Zitrone dans le sketch de Laurent Gerra sur la grande saillie princière…  Finalement je me suis égoïstement dit que je laisserais mes yeux et mes oreilles se balader le long du parcours pour sauter d’épaules en épaules en essayant de saisir ces instants qui font que les 24h d’endurance n’ont de nul autre pareil. Une suite d’histoires comme une manière de raconter cette mécanique interne qui rapproche les êtres aussi bien qu’elle les éloigne dans un décompte de kilomètres qui ne cessent de défiler. Le résultat sera surement décousu mais après tout, s’élancer dans 24h de course est tout sauf un long fleuve tranquille.

Quand les petites histoires font la grande, elles en accouchent de héros

Le héro des héros…Des 5 minutes qui ont précédé le départ, je retiendrais une image ou plutôt un hommage, celle de l’ensemble des protagonistes sur une estrade pour fêter un homme qui a toujours œuvré dans le Saint-Maixentais pour promouvoir le sport sous toutes ses formes et qui aujourd’hui livre un combat contre un corps qui se dérobe. Le moment est fort, empreint d’émotion et les yeux pleins de tendresse se posent ici et là dans une humilité et un respect bienveillant. Pour être honnête c’est la première fois que je croise le regard d’Alain mais l’émotion me submerge. Dans un mouvement de doigts fébriles, j’appui sur le déclencheur de l’appareil qui laisse peu à peu la place à la gêne d’un voleur d’émotion. Ce moment leur appartient et ce cliché m’apparaît être une intrusion brutale dans leur intimité. A la rédaction de ces lignes je contemple celui-ci un peu honteux mais décide malgré tout de le faire apparaître dans ces quelques lignes. Avec le recul et avec tout le respect que j’ai pour cet Homme, sa famille ainsi que ses amis, c’est une façon pour moi de rendre hommage, à ma petite échelle, à leur combat car au-delà du cliché, c’est toutes les valeurs des 24h qui sont résumées ici. Le respect, l’abnégation, l’humilité, l’émotion, le don de soi, le partage, le soutien, l’amitié, l’amour qui transpire à travers les efforts de Max et Loïc, votre père doit être si fier de vous, rien n’est jamais fini et chacune des personnes présentes me relatent tour à tour tout le bien d’un tel hommage préparé par l’organisation, un grand homme. Une équipe « team Alain », composée de proches et d’amis se relaiera d’ailleurs durant 24h pour fêter cet homme et soutenir son combat, non rien n’est jamais fini, jamais…

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L’idole d’un jeune. Ou s’arrête la jeunesse ?, quelle vaste question au regard du ballet que m’offrent ces corps que le temps voudrait pour certains d’entre eux âgés mais à qui l’effort semble redonner une seconde jeunesse. N’empêche qu’il y a 3 ans, j’étais un minot à peine dépucelé de la course à pied quand je regardais les yeux écarquillés un mec élancer les muscles saillants qui trustait les premières marches des boites poitevines. Sa foulée légère semblait planer sur les chemins. Quand les pierres roulaient bruyamment sous mes pieds, c’est à peine s’il déplaçait un caillou, quand mon corps faisait l’équilibriste sur les monticules de boue des chemins printaniers comme on s’ébat avec sa première paire de patin à glace, ces pieds agrippaient ce tapis boueux pour s’en propulser s’en ciller. Remarquez, je n’admirais ce spectacle que l’espace de 2 voire 3 kilomètres tout au plus tant il était au-dessus du lot. N’empêche qu’à l’arrivée dans une râle essoufflé, j’observais admirateur l’air enjoué et le regard paisible de cet homme à l’humilité débordante qui une fois de plus terminait bien devant. Tout le monde connaissait son nom, certains narraient ses exploits, moi je me contentais de l’admirer silencieux. En ce samedi matin, plus de 2 ans après avoir quitté cet observatoire privilégié, le voilà à nouveau sous mes yeux. Pris dans la ferveur du départ je lui lance un signe timide pour une photo (la fameuse avant/après), sa main se tend dans un sourire non feint et accepte la mienne au son d’un « salut, comment ça va ? » qui me déstabilise. Il semble me reconnaître, moi le petit coureur du dimanche trop intimidé que j’étais pour l’aborder. Je suis heureux de le voir même s’il ne me connait pas et heureux de voir le spectacle que nous offre sa foulée. Ma chapelle œuvre pour l’humilité et en voyant Jean-Baptiste, j’en vois un parfait étendard et suis fier d’évoluer godasses aux pieds.

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Claudiquant mais avançant. Au premier tour de piste, naïf, je n’ai eu d’autres mots que de me demander « pourquoi ». Pourquoi donc s’infliger ça ? Pourquoi donc prendre le départ d’une course qui sur deux jambes s’avèrent déjà Sisyphienne alors sur une ? Qu’est ce qui nourrit le cœur de cet homme ? Au départ, Patrick était une énigme et faisait fleurir en moi toutes sortes de fantasmes explicatifs tous plus farfelus les uns que les autres, mais au fil des kilomètres et de la nuit, paradoxalement la lumière m’est peu à peu apparue. Une jambe valide, l’autre ne semblant ne plus l’être ou du moins ne plus répondre aux injonctions de sa volonté, ce corps n’a cessé, 24h durant, de se balancer dans un mouvement pendulaire qui trouvait son équilibre dans l’accumulation des kilomètres. Plonger dans son regard c’est plonger dans un feu sans cesse entretenue par une abnégation et un charisme sans faille. C’est aussi comprendre que les frontières fixées par le corps sont soumises aux attentes de notre volonté qui peut extraire de son jus une situation empreinte de contraintes. A chaque tour, ses yeux semblaient m’invectiver d’un « petit, les limites sont celles que l’on se fixe ». Victoire sur soi, sur une histoire personnelle qui sait peut être accidentée, mais aussi victoire sur les autres en exposant à la vue de tous que l’immobilisme n’est pas une solution mais que la motivation doit être le chemin du salut. A 70 ans passés, Patrick semble prendre sa revanche et me gifle de sa niaque farouche et silencieuse qu’il promènera 122,365 kms durant, immense respect.

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Sang mêlé, la preuve par 3. Plusieurs fois mon regard attendri s’est posé sur ce trio magnifique, une mère, sa fille et son fils. Je ne sais pourquoi Christelle s’est lancée un tel défi mais une chose est certaine elle ne fut jamais seule et de bipède elle s’est souvent muée en « sextupède », portée par l’amour débordant qui irradiait cette relation. Serviable, bienveillant, protecteur quand la nuit mordait les mollets, ses enfants représentaient une béquille psychologique avant de devenir une véritable source d’inspiration et de motivation. Leur passion a ponctué ces kilomètres. Jamais essoufflé ni avare d’encouragements et de compliments pour leur mère mais également pour chacun des participants, il ne se passait pas un tour de piste sans que l’on entende ici et là un petit mot de soutien, un encouragement, un sourire échangé sous un regard baigné de tendresse. Une gentillesse désintéressée comme marque d’une bonté transmise dans les valeurs familiales. Au bout de ce chemin de 158.876 kms, la fierté régnait sur ce trio. La fierté d’une mère d’abord, celle d’avoir modelé deux êtres aussi généreux et bons et celle des enfants en voyant cette mère animée de tant de force et capable de boucler ce si long voyage. S’il était encore nécessaire d’en faire la preuve, le soutien et l’amour des proches fournissent des forces insoupçonnées qui in fine font que ceux que nous étions au départ ne ressembleront jamais à ceux que nous sommes devenus au bout du chemin. Il restera de ces 24h un lien indélébile animé des souvenirs et des émotions partagées, un soutien à jamais ancré. La fin de cette histoire s’est ponctuée par un « je suis tellement fière d’eux », « mais maman c’est toi qui vient de courir » qui résume l’essence même de leur histoire, quand les modèles se croisent.

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Duel galant. Avec la nuit, la scène semblait devenir le théâtre d’une tout autre représentation, à la fois terrible et magnifique. De son côté magnifique, je retiendrai les regards et les encouragements que s’échangent les protagonistes tout au long du parcours mais sur son versant terrible, elle expose à notre vue ces joutes qui s’installent aux premiers rangs entre ceux postulant pour le rôle principal du classement. Si jadis le choix légal pouvait se porter sur le sabre, l’épée ou le pistolet, aujourd’hui seules les jambes semblent être en mesure de décider de l’issu du combat. Cet exercice est sans filtre, l’offensive est non verbale, suspendue à un regard, à une expression laissée à cet homme devenu l’ennemi d’un jour. On tente de capter la défaillance, de prendre l’ascendant par un jeu d’acteur emplie de courage. La foulée, malgré le poids des heures, se doit d’être légère et aérienne quand elle ne le peut plus et ce jeu de dupe accouche d’un combat fratricide où les protagonistes baissent leur garde dans les lacets non exposés au regard de l’ennemi et bombent le torse à l’approche de ce dernier. Ce corps à corps ne vise jamais l’homme, mais la place tant convoitée qui apportera ce triomphe anonyme récompensant tant d’abnégation. En 2017, Gérard et Pierrick dans le rôle de Gaston Defferre et René Ribière pour un remake de ce qui fut l’un des derniers duels connus. Une joute épique, magnifique qui accouchera non pas d’un mais de deux vainqueurs.

Duel galant

J’ai embrassé un flic. « Nous marchions vers la nation, fraternels et pacifiques, sous le regard bienveillant, de quelques milliers de flics et les snipers sur les toits nous faisaient avec leur bras de grand signes d’amitié et de solidarité, alors pour les remercier et pour la première fois de ma vie d’anarchiste, j’suis allé embrasser un flic ». Quand, dans ce gymnase qui servait de camp de base retranché à ces alpinistes d’un autre genre, Guy fini son tour de remerciements et de félicitations face à des corps fatigués par ces heures de labeur, il se plante face à Patrick, prenant la foule à témoin et jette désinvolte ces quelques mots de la chanson de Renaud « J’ai embrassé un flic ». S’en suit une franche accolade au son des rires qui perturbent soudain  la quiétude des lieux. Voilà Guy, lui qui à peine le pas de la porte franchit nous lançait « bon j’ai eu Macron, il vous félicite tous ». Lui ce battant qui dès les premiers kilomètres a entrevu la rémanence d’une douleur qui jusqu’ici latente se faisait oublier. Je l’ai vu serrer les dents du début à la fin, je l’ai vu baisser la tête face à cette injustice, je l’ai vu la relever pour encourager chacun des protagonistes et remercier les rares spectateurs, je l’ai vu blaguer, sourire, s’esclaffer. Je l’ai vu trottiner en début d’aventure puis marcher encore et encore, mais une chose est certaine, je ne l’ai jamais vu renoncer. Guy était, à ce moment précis de sa vie, ce gladiateur blessé laissant tomber sa cuirasse et révélant, s’il en était nécessaire, une bonté d’âme qui sublimait les autres. Dès le départ, le combat était déséquilibré, voir pipé et injouable, mais rien n’a fait vaciller sa volonté d’avancer et faire avancer les autres. Hors course tout en étant en compétition, il s’est mué en formidable ambassadeur et en compagnon averti. Sa sensibilité et son amour m’ont touché et fait entrevoir la vraie nature de l’effort fourni. Dans une pirouette dont il a le secret, Guy a inversé les rôles en me félicitant comme si je venais moi aussi de boucler cette grande aventure. J’étais complètement déstabilisé et gêné mais pris conscience que les 24h, au-delà d’une institution, étaient une vrai famille, emplie d’empathie, d’attention, de soutien et ne s’arrêtait pas aux seuls coureurs mais également à leurs proches, à tous ces acteurs des paddock qui veillent nuit et jour en distillant des encouragements qui réconfortent, des massages qui réparent, des sourires qui réchauffent et qui font que l’aventure n’est pas qu’une somme d’individualité mais un véritable magma humain qui relie les êtres.

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L’amour n’a pas d’âge, le chemin des gens heureux. Lui un brin caboteur, promenait son regard pétillant sous un petit « bob », elle veillait au grain en le couvrant d’un amour fusionnel qui semblait avoir traversé le temps pour venir, en ces deux jours de fête, lui tracer un chemin de 97.976 kms. Quand je serai  grand, j’espère que notre amour en puisera l’inspiration. A vrai dire, je ne sais depuis combien d’années, que dis-je, combien de décennies (avec tout mon respect) ces deux-là ont décidé de lier leur vie l’un à l’autre  mais à les voir, j’ai l’impression que c’était hier. Je les imagine durant leur jeunes années se faire une cours adolescente teintée de pudeur et de passion. J’imagine combien le temps file et avec lui les époques, à l’heure où les appels et les sms arrivent dans la secondes pour livrer les sentiments, je les imagine l’un comme l’autre animer leur plus belle plume pour s’écrire leurs pensées, livrer leurs sentiments, construire des projets, dans une romance épistolière où la patiente puisée dans l’attente de la missive faisait foisonner l’imagination de l’être aimé. Je ne connais leur histoire mais en les contemplant, je me surprends à la rêver. Si ses cheveux grisonnant laissent penser que l’âge de sagesse semble arrivé, son sourire charmeur et ses yeux bleus azur laissent présager qu’il a dû en jouer auprès de celle qui partage sa vie. Il semble croquer cette jeunesse toujours conservée dans cette marche en avant incessante, il me livre d’ailleurs que c’est son 7ème 24h de l’année, moi qui n’osait en faire un… Une fois l’arrêt prononcé, je gagne une demi-heure à discuter avec eux, de tout, de rien. Lui me livre ses astuces pour protéger ses pieds, son œil n’a de cesse de rigoler, sa voix est de cette douceur suave qui de suite vous enveloppe de chaleur et vous rassure. Si malheureusement je n’ai aucun souvenir de mes grands-pères, bizarrement je les projette en Christian. Sa femme, bienveillante est assise à ses côtés et dépose sur lui un regard protecteur teinté d’admiration et parfois traversé d’une pointe de réprobation quand Christian s’emballe dans de grandes tirades enflammées par sa volonté de partager et son amour des autres. Il y a de ces personnes parfaitement inconnues que l’on a l’impression de connaitre depuis toujours, peut être le pouvoir de l’amour ou tout simplement le partage du bonheur.

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Marcheur d’or. David fait partie de ces rencontres virtuelles, quoique un peu impersonnelles, qui mettent en contact sur les réseaux sociaux de parfait inconnus néanmoins animés d’une passion commune. David c’est la personne qui se cache derrière le club de course à pied du MACC Lusignan sur Facebook. Dans mon projet 2017 de courir afin de récolter des fonds pour l’association Tulipa je m’étais permis de contacter en amont  les organisateurs de courses auxquelles je prenais part afin de savoir s’ils pouvaient relayer l’information auprès des participants. Si très peu me répondait, David n’avait pas hésité et avait relayé l’information au cours du trail de la fée mélusine avec un enthousiasme non feint. Alors tomber sur lui ce jour de 24h, quelle belle surprise et quel plaisir. Je pouvais à présent mettre un visage sur cette gentillesse. David avait ce quelque chose de singulier dans le peloton, il ne courait pas, il marchait. Arborant des bâtons de marche nordique, il imprima très tôt un rythme cadencé et déterminé qu’il chemina 24h durant. Son abnégation et sa volonté animaient ses pas qui bâtaient le chemin au cliquetis de ses battons pour créer bientôt une symphonie de presque 117 kms. C’est comme si rien ni personne ne pouvaient arrêter sa progression, la marque d’un courage intraitable dans la réalisation de soi. L’image était puissante et David portait haut l’étendard de ces héros silencieux qui dès le départ font preuve de la force de caractère des grands champions.

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Au nom du père, la soldat inconnu. Il m’aurait été facile de croiser le numéro de dossard apparaissant sur les photos de l’évènement  au classement pour découvrir le prénom de cette jeune femme mais cela aurait brisé la magie des rencontres. Si au départ tout ressemblait à un pari, à l’arrivé ce fut un défi. Derrière des trais tirés et des yeux rougis par de longues heures à découvrir ses limites pour mieux les repousser elle me livre dans un sourire la genèse de sa présence. Il y a un an alors que l’évènement se tient en lieu et place sur la Place Denfert Rochereau et que la course à pied n’est pour elle qu’une illustre inconnue, le sport en général d’ailleurs, elle lance à son père, chiche. Un an plus tard la voici ici, basket aux pieds 24h durant à avancer. Aucun objectif, aucune recherche de performance, juste sortir de sa zone de confort pour se confronter à quelque chose d’inconnu, qui au départ parait complètement fou mais qui à l’arrivé façonne une aventure hors norme au côté de son père qui la suivra dans ce voyage animé d’une fierté non feinte. Cette expérience me fait relativiser toutes ces « courses » et casse les barrières de cette poursuite du chrono, de la place. Combien de fois on se surprend à prendre un départ en disant je ne vise rien mais à l’arrivée, si le temps apparait plus long que des « standards », fait poindre une part de déception qui abolit le plaisir de juste courir. Attention, certains d’entre nous ont besoin de cette adrénaline et ce combat aux avants postes ou contre le temps qui est tout aussi louable et respectable. Il me semble qu’il faut juste trouver sa place, ne pas prêter attention aux qu’en dira-t-on, la valeur d’un homme ou d’une femme ne se mesure pas à sa place ou son temps mais au chemin qui a emmené tout soldat inconnu à croiser cette ligne d’arrivée.

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Épilogue, la fin d’un nouveau début

     Cette fois-ci c’est la libération, 5, 4, 3, 2, 1… Chaque coureur dépose son dossard au sol comme on dépose une stèle après une grande bataille, une sorte d’enterrement pour une renaissance. L’enterrement de son orgueil, de son ambition d’avant course vers une humilité retrouvée face au compteur kilométrique, peu importe le résultat, le verdict tombe…

J’assiste étourdi à ce ballet merveilleux, nombreux sont ceux qui posent le pied sur leur dossard comme pour le retenir, et retenir avec lui, l’espace de quelques secondes encore, l’enivrement du dépassement de soi qui trouve ici son épilogue. Une manière aussi d’éviter qu’il ne leur échappe et que disparaisse cette sensation unique et déroutante de vivre pleinement l’instant.

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A chacun son monument

     Le moment est baigné d’émotion. Je rejoins bientôt Stéphane, les yeux au bord de la crue et je ne sais pourquoi, est-ce ma timidité maladive ou simplement ma volonté de garder mes distances comme on respecte une prière, je n’ose le serrer fort dans mes bras et ne trouve rien d’autre que de lui tendre ma main. J’assiste à son abolition, il redevient cet homme libre aux yeux du temps contre lequel il luttait jusqu’alors, sa course au temps est finit, il est au bord des larmes et savoure, son émotion me gagne. J’imagine l’explosion qui se joue au plus profond de lui, amener un projet à son terme, vivre ses émotions, savourer pleinement un instant, s’accomplir tout simplement. Cette explosion est viscérale, coupe le souffle et fait vaciller des jambes déjà trop éreintées. Elle irradie son visage redevenu enfantin comme on déballe ses cadeaux un certain 25 Décembre. Chose étrange et magnifique, au moment de l’arrêt du chrono, un problème de micro a plongé la piste dans un profond silence, solennel, presque religieux qui vient conclure une aventure au long cours.

     Je quitte Stéphane pour retrouver les autres concurrents, je veux avoir un mot pour toutes et tous. Les scènes de congratulations m’avaient marqué aux Etats-Unis après le marathon de Baltimore alors que je regagnais mon appartement habillé d’un long poncho ma médaille au cou. Nombreux sont les passants qui m’arrêtaient juste pour me féliciter. Ce geste désintéressé m’avait profondément marqué, juste ce respect de l’effort peu importe qu’on le comprenne ou non. Aujourd’hui je veux être ce passant désintéressé. Bien que marqués, tous les participants accueillent mes modestes félicitations avec le sourire, je suis admiratif et fier d’avoir pu être le spectateur privilégié de cette aventure hors norme. Les 24h ont ce quelque chose de poétique mêlant dramaturgie lorsque les sirènes viennent enlever un corps au bord de la rupture et fantastique lorsque l’on assiste ébahi à l’éclosion de tous ces sourires dans les yeux. Aujourd’hui, j’ai assisté à la réalisation d’un tableau, les couleurs remplacées par les sentiments, ont donné vie à ce qui fait que nous avançons, l’autre, les nôtres, soi, lui, elle, et qui fait que la machine humaine, peu importe sa part de faiblesse, da vanité parfois est aussi et surtout capable de se sublimer pour embrayer une mécanique du cœur qui n’a d’autre finalité que partager un bonheur commun.

Le bonheur des gens heureuxLe sourire de s’accomplir ou le plaisir des gens heureux

     Je ne sais si un jour je me lancerai dans ce défi humain en prenant ainsi rendez-vous avec moi-même et avec les autres, mais au fond de moi, j’aimerai farouchement appartenir à cette famille car la famille des 24h est intemporelle, solidaire, conviviale, joviale, ouverte, multiculturelle, réunissant autour d’un bon banquet du petit fils au grand père, de la fille à la mère pour écrire une belle page de ce qui fait que nous sommes, in fine, juste qui nous sommes et c’est peut être ça le plus important.

« 19 ans que l’on vient aux 24h, toujours le même plaisir de se retrouver. Des coureurs toujours aussi fous mais toujours une ambiance bon enfant, merci à tous » Coralie.

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19 ans x 24h et toujours la même générosité et la même passion, les héros sont aussi au bord de la piste

     Merci à tous, Stéphane nous sommes liés à présent, j’aurais sincèrement voulu avoir une brève pour chacun d’entre vous, vous êtes tous des héros,  mais 24h c’est finalement trop peu pour permettre à un mec en godasse de pénétrer toutes ces vies, merci Pierrick, Gérard, Jean-Michel, Ludiwine, David, Christelle, Rémi, Damien, Ludovic, Cédric, Samuel, David, François, Patrick, Achia, Bernadette, Joël, Marcel, Brigitte, Patrick, Christian, David, Léon,  Sylvie, Claude, Thierry, Véronique, Andreas, Robert, Véronique, Christian, Joël, Jérôme, Charline, Bernadette, Guy, René, Jacques, David, Jean-Baptiste, Laurent  et merci à l’organisation (Run! Chacun sa foulée, merci Rodolphe pour ta gentillesse et ton accueil) de m’avoir permis de balader mes yeux le long du parcours.

Prochaine édition: Septembre 2018 / Ouverture des inscription: Non communiquée / Lien vers le site de l’organisation (ici) / Sources photos (Clément Boinot).

Une réflexion sur « La mécanique des cœurs, 24h de Saint-Maixent-l’Ecole « Bernard Gaudin ». »

  1. Tu as décidément une jolie plume. J’étais transpercée au plus profond de mon cœur. Et puis ça m’a même donné envie de la faire. Tu ne seras certainement plus là l’année prochaine, sinon je t’aurai proposé qu’on tente cette aventure ensemble !

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